Saïd Fahran

Une bouteille à la mer

Vernissage le samedi 16 juin dès 15 h
Exposition du 16 juin au 12 août 2018

farhan

Une bouteille jetée à la mer est un appel au secours, le dernier recours d’un homme au milieu d’un désastre. Dans le domaine de la fiction, elle est souvent évoquée comme une démarche désespérée dont l’aboutissement est improbable.

Pour un peintre, aborder ce thème impose un autre cheminement, celui qui consiste à renouer avec les années des Beaux-Arts : reprendre la nature morte, le dessin à la pointe sèche, à la mine de plomb, saisir la silhouette d’un modèle, fabriquer une teinte à partir de pigments… Pourquoi ce soudain intérêt, est-ce l’effet de la soixantaine lorsque le goût de l’isolement nous ramène vers les lieux de notre jeunesse ?

Il y a quelques années, alors que l’artiste s’apprête à entamer un long voyage aux quatre coins du monde, une amie norvégienne lui demande de traduire un papier que ses enfants ont trouvé dans une bouteille au bord de la mer, près de Bergen. Elle a la clairvoyance de ne pas apporter la bouteille, aiguisant ainsi son imagination ; un artiste est un individu qu’il faudrait enfermer dans un atelier et astreindre à traduire sa mémoire !

C’est un signe provenant de sa région natale que le destin, après une longue traversée, lui transmet de main en main.

Le thème de la bouteille, il l’avait abordé dans les années quatre-vingt, y consacrant une exposition dans la petite galerie La Luna à Vevey sous le titre de « cerfs-volants » : de petites œuvres exécutées principalement à l’encre indienne. Cette fois, la dimension tragique l’emporte sur l’attrait de la forme.

Une quantité impressionnante de dessins, de gravures, d’encres et de tableaux remplissent progressivement son atelier. Mais un accident de la route suivi d’une lourde opération chirurgicale a dévié son travail de sa trajectoire initiale. La missive trouvée dans la bouteille acquiert à présent la forme d’une blessure, d’une nature probablement identique.

Sa fille lui rappelle que la forme de sa cicatrice ressemble à ses anciennes gravures. Féru de gravure, il procède alors au découpage de ses plaques en deux parties égales, les liant ensuite avec un fil de fer. Pourquoi un tel geste ? Peut-être pour faire l’esquisse de cette blessure qu’il porte depuis toujours et qu’il arbore comme le trophée d’une guerre imaginaire ?

La bouteille ballotée au gré des courants marins est maintenant nouée à un fil qui traverse le tableau pour former une cicatrice.

Ces images indiquent une direction, une route que cet « homme déplacé » devait entreprendre pour clore son périple.

On part pour fuir une honte, suggérait Bruce Chatwin, et notre artiste semble dire « pour payer une dette » « Laquelle ? Celle d’avoir échappé à un massacre sans pouvoir sauver les siens ? Ou est-ce le désir impérieux de recommencer, de vérifier la justesse d’un vieux rêve ? »

Avant d’empoigner sa valise pour entamer son tour du monde, un voyage qui s’annonce sans retour, l’artiste, au travers de cette mini-rétrospective, montre des fragments de trois décennies d’un travail en marge, d’un homme oscillant entre Orient et Occident, entre gravure et écriture, entre mémoire affligée et existence temporaire, entre peinture et littérature ; une œuvre dont le but ultime est d’acquérir les outils les plus raffinés pour pouvoir recoudre une plaie ; valait-il vraiment la peine de consacrer toute une vie à graver inlassablement une blessure ?

John. E. Meed

(Critique d’art et journaliste britannique) Extraits d’une préface du catalogue